2016 1er prix CPGE Mon ami Pierrot Juliette HAUTOIS KHCL2
Mon ami Pierrot
Un jour, Saint Pierre a perdu la clef du Paradis. Si vous me pardonnez le jeu de mots, ça doit bien faire une éternité ! Mais aujourd'hui encore, je m'en souviens et même après tant de siècles, j'en ai encore les larmes aux yeux tant, ce jour-là, j'ai pleuré de rire. Il venait en courant vers moi avec l'air complètement hagard du type qui a fait sa connerie, et là, il me dit : « Jean, Jean ! J'ai besoin que tu m'aides. Faut qu'on cherche la clef. Elle était là, elle pendouillait à mon trousseau, comme d'habitude, quoi ! Et là j'ai voulu ouvrir aux âmes du lot de 16h59, je porte ma main à ma cordelette, et je n'agrippe que du vide ! Me laisse pas dans mon pétrin, mon vieux, je vais me faire allumer par le patron si je n'ai pas réussi à ouvrir la porte pour minuit, quand il fera son petit tour de d'habitude ! »
Qu'est-ce
que je pouvais lui dire, à Pierre, à part un « oui, mon
pote ! ». C'est lui-même qui m'a fait rentrer ici, quand
j'ai cessé d'être un mortel. Et il avait raison d'être paniqué,
l'ami Pierrot. Le vieux, il n'aurait pas aimé du tout, ça non. Il
aurait même été fou furieux. Dieu vengeur peut-être pas, mais
Dieu vénère, ça, par contre ! Alors du coup, nous voilà
partis cahin-caha à reluquer le sol à la recherche de la clef de
Monsieur tête-en-l'air. C'était une petite clef, je m'en souviens
très bien, une toute petite clef pour une toute petite serrure,
fine, un vrai ouvrage de maître, en or blanc délicat, presque
damasquiné. Elle se confondait dans l'argent des nuages. La nuit,
ici-haut, ne tombe pas ; pas de risque donc, pas de peur noire
du crépuscule. Un seul délai, minuit.
On
a fait la grille du Paradis de long en large, à quatre pattes, les
mains dans la barbe à papa pour être sûrs de ne pas la louper.
« Alors Jeannot, tu trouves ? Fais-moi turbiner un peu cet
œil de lynx qui a bien vu des choses que personne d'autre n'avait
jamais vu avant ! Allez, roule, œil de faucon, toi qui a vu le
dragon, et les chevaux qui ont vomi des flammes ! ». Et
moi, je lui réponds qu'à mon âge, on devient presbytère. Il était
tellement nerveux qu'il n'a pas compris. J'ai baissé mes yeux, je
l'avoue, encore vivaces, et j'ai continué la chasse.
La
clepsydre déjà coulait vers les dix-neuf heures, et toujours pas de
clef. On commence à sécher, à se demander où orienter nos pas.
« Résumons, réfléchit Pierre. On a fait le portail, la
grille, on est repassés par tous les sentiers que j'ai arpentés
dans la journée, deux fois en plus, et... ah ! Oh ! Le
cellier ! On n'a pas fait le cellier ! ». Et le voilà
qui court aussi vite que ses sandalettes lui permettent, et moi je
cours derrière lui. Ce zigue est tellement préoccupé par sa fichue
clef qu'il manque de renverser Antoine, qui sortait justement du
cellier avec un jambon à la main, et Pierre lui sort avec un
à-propos à faire mourir les anges : « Et alors Antoine,
on a cédé à la tentation ? ». Antoine lui a jeté un
regard brûlant comme le désert. Pierre, de toute façon, avait
repris sa course, et ce regard de sable a atterri sur moi. J'ai été
mal à l'aise. Je sais qu'Antoine a du mal à supporter l'humour
parfois lourdingue de Pierrot. À le savoir dans le pétrin, il n'a
pas caché sa joie. Je me suis dit : « Toi, mon coco, je
te surveille. Si tu nous a planqué la clef, je le découvrirai. ».
Tout cela n'a duré que quelques secondes, mais ça a été assez
pour que Pierrot prenne la poudre d'escampette. Tiens, Antoine aussi
est parti. Bon, on verra bien si c'est lui qui –
« Hé !
Jean-Jean !
Je
sursaute et me retourne :
–
Hé tiens ! Salut, mon petit Matthieu ! Dis, moi, t'aurais
pas trouvé...
- La clef de Pierre ? Non, désolé. Mais par contre, hé, j'ai vu l'air vicelard d'Antoine qui sortait du cellier, plus tête de lard que son jambon, dis. Mais Pierre, il a pas fait un double ?
Un
double ! Tu penses bien qu'il l'aurait perdu ! et ça avant
de perdre l'original, et t'imagines le capharnaüm que ça aurait
été ! Le Paradis en libre accès ! Même Locke est moins
libéral que ça !
Et
tu sais ce que c'est que c'est que to lock ?! C'est
« fermer à clef » ! T'es un génie Jeannot ! »
Et
là on était morts de rire pendant au moins cinq minutes. Et puis
Pierre est revenu, furibond, en disant que les copains, fallait
jamais compter dessus, à la bonne franquette, comme d'habitude. Et
là, Pierrot, il a exagéré, parce que sans son vieux copain Jeannot
qui l'a bien sorti du bourbier pour cette fois-ci, il aurait été
bien embêté ! Il aurait peut-être même été viré !
Oui, vi-ré ! Une faute professionnelle pareille, ça ne passe
pas ! Perdre la clef qui permet d'ouvrir le Paradis ! On
aura tout vu !
Et
donc on repart pour un tour, pendant que l'autre énumère en
maugréant : « Le cellier, on a fait... La salle de bain,
on a fait... Les toi... Non, quand même pas, je l'aurais bien vue
tomber, en plus je l'avais même pas mise dans ma poche arrière...
Ah mais non, je suis trop con, je suis en soutane. » Et il
commençait à déprimer sec, le Pierrot. Avec toutes ces bêtises,
il se faisait déjà vingt heures. On avait l'impression d'être dans
une ellipse narrative. Ou dans une fusée à vitesse infinie, au
choix. L'idée, c'est que le temps filait, et vite.
Minuit
moins dix. Je prends ma tête entre mes mains, et je réfléchis, je
réfléchis, je réfléchis. Pierrot s'est assis par terre, et il
commence à comprendre qu'il est mal barré. C'est bizarre, parce que
peu à peu, la lumière décline, comme si Dieu changeait l'éclairage
et mettait des ampoules à basse consommation. « On a tellement
couru ! J'ai le ventre qui gargouille pire qu'un torrent
furieux ! Jean ! Mon Jeannot, va me chercher au cellier
quelque chose à me mettre sous la dent. Tu sais, c'est peut-être la
dernière fois que je peux me repaître dans le cellier de Dieu,
alors... ».
Alors
j'y vais. C'est même franchement bizarre cette manie de mes yeux à
se croire dans le noir. Mais le temps presse pour mon Pierrot, alors
j'arrête de réfléchir et je prends du cellier un joli saucisson.
Et devinez sur qui je tombe en ressortant, sur l'éclat bien sournois
de deux petits yeux, ceux d'Antoine bien sûr. Et là il me siffle,
ce serpent à sonnette : « Dis, Jean... Pierre, il a bien
regardé, pour sa clef, dans les toilettes ? », et il
sourit toujours, ce démon ! Alors je comprends, et là, pour
mon Pierrot, pour pas salir mon pote, j'explose devant lui et je
hurle : « Tu sais où elle est, c'est ça ! Tu sais
depuis le début ! Maudit sois-tu, ermite de malheur ! ».
Et je brandis mon poing, et je vais le frapper, vraiment le foutre à
terre, mais il me prend par le col et me tire contre lui, et là,
front contre front, il me susurre : « Mais Jean, les
visions, c'est toi qui les as, moi, les miennes, je les ai
surmontées... ».
Et
là, un immense bruit de trompette retentit dans les cieux, et
Antoine me lâche, et moi je tombe à terre. Je délire de nouveau ?
C'est un bruit de sabots qui enfle dans le noir ou les palpitations
en rythme de mon cœur ? Je compte les chevaux, il y en a trois,
non, quatre. Ils sont d'un noir d'ébène et des yeux de rubis.
Quatre squelettes dessus. Dans leurs orbites, je vois les latrines
publiques. « Elle est là-bas ! je crie. Elle est dans les
latrines ! PIERRE ! TA CLEF ! ELLE EST DANS LES
LATRINES ! ».
Et
alors tous les deux on s'est mis à courir jusqu'à en mourir.
« MINUIT MOINS UNE ! IL EST ENCORE TEMPS ! ».
On arrive, on déboule, Pierrot bondit au-dessus de l'abattant.
Et
alors j'ai vu la brosse à toilettes qui se mit à trembler, des
vagues se soulever dans la profondeur de la cuvette, et le carrelage
se fendre en une faille ouverte, et en sortir des flammes... Et le
Diable a surgi de sous la brosse à chiottes ! Et l'Enfer s'est
ouvert en un bruit de tonnerre ! Sifflement des canalisations
déchirées ! Grondement et mugissements du plafond qui
s'effondre ! Entre ses griffes ouvertes de la lave coulait, sa
peau rouge fumait, ses canines luisaient dans la fumée de cendre. Il
hurla : « PIERRE ! TON JUGEMENT EST VENU !
QU'AS-TU DONC FAIT ! NOUS SOMMES HUIT JOURS APRÈS LE SOLSTICE
D'ÉTÉ, ET... ET... C'est la Saint Pierre aujourd'hui !
SURPRISE ! »
Et
alors des confettis tombèrent du plafond en miettes, et le Diable
dégagea la brosse coincée entre ses cornes, et ouvrit une paume
immense comme tout un monde avec, logée dans un pli, bien cachée en
dedans, la toute petite clef forgée dans de l'or blanc. Il était
minuit pile.
Un
tapage pareil, ça en attire du monde : tout le Paradis avait
pointé son nez pour évaluer un peu le chic des événements. Une
belle foule compacte, et nous, tout pantois, à se regarder, sans
plus vraiment comprendre.
Et
alors j'ai vu Antoine à l'autre bout du cercle, à côté de
Matthieu, et je me suis excusé dans ma tête de l'avoir soupçonné,
et il ne m'a pas entendu, primo parce qu'il ne lit pas dans mes
pensées, et secundo parce que ce gros goinfre était occupé, ce
faux-cul, à se gober une saucisse sortie en douce du cellier.
« –
Qu'est-ce qu'on s'amuse, tonna le Diable. JOYEUSE FÊTE, PIERRE.
As-tu apprécié cette petite farce divertissante ? Exquise,
oui, exquise !
- Bordel de merde, a répondu Pierrot, tout en simplicité.
- Ah, ah ! Quel moment délicieux. Mais par contre, mon ami, arrêtez de vous la jouer à jurer comme des charretiers. Sérieusement, vous repasserez, on n'est pas dans l'Équipe, ici, que diable. Imaginez-vous écrire un testament comme ceci, vous n'êtes pas sérieux, voyons. Rendez-vous compte, si les hommes réglaient leur foi, leur morale et leurs lois sur un texte pareil, un texte drôle. Drôle, qu'est-ce que c'est que ce mot. Ce dont le monde terrestre a bien besoin, c'est du sérieux. Guider les âmes et ne point rire. En parlant des âmes, allez leur ouvrir, elles s'impatientent. Moi, j'ai à faire : je dois régler un petit incident : il y a un malin, tout à l'heure, qui a essayé de se faufiler du convoi pour ma demeure au convoi pour ici, un petit rigolo,avec un nom étrange ! Du jamais vu... Rabelais, François Rabelais... Pas un bon chrétien, lui, pour sûr... Allez, allez, dispersez-vous, et que tout rentre dans l'ordre. »
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