2015 1er prix des lycées O pulli ! o mores ! Gabrielle ROUSSEAU 1 L-ES
O pulli ! O mores !
Jean-Michel avait toujours été un poulet rôti heureux. Qu’il aimait, dans la chaleur pénétrante du four, qui faisait frissonner sa peau croustillante à souhait, se faire dorer en compagnie de ses camarades ! Que l’on est bien entre soi ! Tous avaient la chance d’être fournis à un rythme plus que satisfaisant en herbes aux senteurs fortes, qui plongeaient ces anciennes volailles gambadantes dans un état d’ivresse folle, et brouillaient également quelque peu leur vision. Mais cette sensation était on ne peut plus délicieuse, si bien qu’ils ne cessaient d’en redemander, se manifestant en gigotant gaiement.
Jean-Michel avait toujours été un poulet rôti heureux. Qu’il aimait, dans la chaleur pénétrante du four, qui faisait frissonner sa peau croustillante à souhait, se faire dorer en compagnie de ses camarades ! Que l’on est bien entre soi ! Tous avaient la chance d’être fournis à un rythme plus que satisfaisant en herbes aux senteurs fortes, qui plongeaient ces anciennes volailles gambadantes dans un état d’ivresse folle, et brouillaient également quelque peu leur vision. Mais cette sensation était on ne peut plus délicieuse, si bien qu’ils ne cessaient d’en redemander, se manifestant en gigotant gaiement.
Bien sûr,
l’existence de Jean-Michel n’était guère parfaite, en dehors de
ces trop brefs instants de plénitude : ses colocataires, les
farouches Pommes de terre, au goût et à la senteur pourtant fades,
étaient on ne peut plus orgueilleuses, du fait de leur faible coût.
Jean-Michel, en bon philosophe, estimait que cet amour-propre était
injustifié : autant être plus onéreux et plus savoureux !
Car oui, il savait. Il savait qu’un jour, son paradis finirait par
s’éteindre. Plus d’amis, plus de chaleur. Il avait vu son ami
Rodrigue se faire enlever dans un de des sacs en papier – lequel
était de suite devenu relativement gras, son compère ayant toujours
eu un bon coup de bec durant sa jeunesse. Mais Jean-Michel s’était
raisonné, et acceptait, stoïque, son destin, et profitait comme il
fallait du temps qui lui restait.
Or,
à un moment indéterminé de leur rôtissage, arriva parmi eux,
poulets virils (et quelque peu machos, il fallait avouer), une
charmante poulette qui se présenta à eux en tant que Caroline.
Caroline, se répéta en lui-même Jean-Michel. Quel nom exquis. Mais
ce qui l’interpellait encore plus, était cette senteur, ce mélange
unique de sueur de mains travailleuses et de camion échappant aux
normes sanitaires. Il la salua respectueusement – du mieux qu’il
put –, car c’était un poulet d’élevage supérieur, et
l’intéressée commença à se faire dorer on ne peut plus
gracieusement. Seule Hortense, la vieille poularde toute sèche, qui
ne tarderait d’ailleurs pas à quitter la chaleur de son petit coin
qu’elle avait aménagé avec soin, était la seule à ne pas voir
la nouvelle arrivée d’un bon œil. En effet, cette pauvre demeurée
appartenait depuis déjà un moment corps et âme au séduisant
Jean-Michel à la peau de braise, lequel ne cessait de regarder
langoureusement Caroline. On aurait pu penser que, ayant été
vidée de ses organes, elle ne serait plus habitée par l’image
de son cher et tendre, mais voilà, elle l’aimait – et avait
d’ailleurs toujours eu un goût assez prononcé pour les poulets
plus jeunes qu’elle.
Mais Jean-Michel,
lui, était on ne peut plus éloigné de ces préoccupations.
Caroline était là, juste en-dessous de lui, et il s’enivrait
perpétuellement de son parfum, de son cher parfum, qui le ravissait
un peu plus chaque fois. Son intérêt était tel qu’il lui faisait
dégager un fumet légèrement plus piquant que d’habitude, signe
qu’il était dans une phase de réflexion intense. Car oui, comment
faire ? Il le savait, désormais, Caroline et lui étaient
destinés à vivre le reste de leur vie ensemble, côte à côte,
sans jamais plus se séparer. Et son emprisonnement lui sauta aux
yeux : son rêve, qu’il croyait être aussi son destin, ne
pourrait jamais se réaliser dans ces conditions. Jean-Michel n’avait
jamais été à l’école volaillère – sa mère reprochant leur
odeur infecte aux autres volatiles de la basse-cour, - mais il savait
réfléchir quand l’urgence le prenait. Et déjà il s’imaginait
le moment où il se ferait ôter de sa broche par la Main, perdant
ainsi à jamais la vue de sa promise. Mais une telle chose n’aurait
jamais lieu. Sa décision était prise.
La
question n’était pas de savoir si la poulette viendrait avec lui :
Jean-Michel avait déjà fait tant de ravages auprès d’autres
qu’il était impossible qu’elle refusât. Son plan lui apparut
comme une évidence. Il prit sa voix la plus sensuelle et,
s’approchant du mieux qu’il put de Caroline, lui susurra :
« Prépare-toi, bébé, ça va swinguer ! » et
donna un coup d’aile ivre à son voisin Gaston. Ce choix était
tout sauf hasardeux : son compagnon de rôtissage était d’une
rare susceptibilité, dont Jean-Michel avait souvent fait les frais.
Furieux, ce dernier réitéra son geste avec humeur envers notre
héros, qui bouscula Patrice dans son élan. Lequel répondit à la
provocation en poussant Jean-Michel, Gaston et Ferdinand. Et ainsi de
suite, le four devint bancal, de plus en plus bancal, jusqu’à
s’écraser violemment contre le sol. La vitre se fracassa, les
broches se brisèrent : les poulets étaient libres.
Savourant sa
victoire, Jean-Michel sortit des décombres, et aida sa promise à en
faire autant. Il la regarda, et déclama, d’un air inspiré - comme
il avait vu le coq de son village le faire une fois : « Viens
avec moi. Allons découvrir ce monde qui n’attend plus que nous.
Cette existence dans un simple four n’est plus. Je ne veux plus que
toi ». Mais au moment même où Caroline acquiesçait, un cri
perçant se fit entendre dans toute la rôtisserie. Ferdinand,
Bernard, Maurice : tous se faisaient rattraper par une créature
gigantesque, celle qui leur fournissait les délicieuses herbes. Elle
les entassait sans pitié dans un endroit clos et les empêchait
fermement de s’en échapper, les retenant prisonniers. « A
l’aide, Jean-Michel ! ». Il ne pouvait ignorer leurs
cris désespérés. Caroline le regarda, puis fit un signe de l’aile
en guise d’approbation. Le séduisant poulet s’élança alors de
toutes ses forces. La Main ne tarda pas à le repérer, et fondit sur
lui tel un rapace affamé. Mais Jean-Michel savait où il allait. Il
avait senti son amie la Flaque d’huile qui elle aussi essayait
désespérément de s’échapper, bien que son odeur soit trop rance
pour passer inaperçue. « Par ici, Léontine ! ». Il
courut vers elle, suivi de près par son ennemi redoutable. Et ce qui
devait arriver arriva : la créature glissa sur la
grassouillette Flaque, et s’étala de tout son long, assommée,
laissant choir la prison de ses camarades. Jean-Michel avait gagné.
Tous les poulets sortirent alors, acclamant celui qui avait su les
sauver, par son courage et sa bravoure, dignes des plus grands. Il
reçut humblement leurs félicitions, puis s’approcha de son
poursuiveur. Un silence de mort s’en suivit dans la rôtisserie.
« Créature. Tu as tenté de nous prendre notre liberté, sans
que nous en soyons conscients. Sache que cette époque est terminée.
Nous sommes libres, maintenant, et rien, non rien ne nous empêchera
plus de vivre notre vie de poulets rôtis. Va, désormais, et
trouve-toi une occupation plus constructive. J’ai dit ».
Et sur ces paroles,
la foule des volailles applaudit, et cria, comme on ne le faisait que
pour les plus illustres : « Ave ! Jean-Michel,
vainqueur, Chef des Poulets ! ». Mais déjà le volatile
ne les entendait plus. Il inspirait profondément, à la recherche du
parfum de Caroline. Quand enfin il la repéra, elle le regardait,
émue.
- J’ai toujours su que tu deviendrais un héros.
- Ce n’est rien. Partons, maintenant. C’est le bon moment, je le sens.
Et c’est ainsi
que Léontine les emmena, s’étalant de tout son long, faire une
ballade sur son dos, vers une nouvelle vie, Caroline allongée dans
une frêle embarcation, Jean-Michel fièrement debout à l’arrière,
la faisant avancer, et chantant, avec des accents latins, le
délicieux parfum de sa promise, tout en la dévorant du regard.
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