Extra Life de Gisèle Vienne du 6 au 10 décembre à la MC93 : Critique par Milo Lemagnen

 Envelopper n’est pas occulter


Extra Life de Gisèle Vienne du 6 au 10 décembre à la MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis.

Expliquer, c'est développer. Envelopper, c'est impliquer. Les deux termes pourtant ne sont pas contraires : ils indiquent seulement deux aspects de l'expression. D'une part, l ' e x p r e s s i o n  e s t  u n e  e x p l i c a t i o n :
développement de ce qui s'exprime, manifestation de l'Un dans le multiple
(manifestation de la substance dans ses attributs, puis, des attributs dans leurs
modes). Mais d'autre part, l'expression multiple enveloppe l'Un : L'Un reste enveloppé dans ce qui l'exprime, imprimé dans ce qui le développe, immanent à tout ce qui le manifeste : en ce sens, l'expression est un enveloppement.
Gilles Deleuze, Spizona et le problème de l’expression, Minuit, p12

Extra Life, donc. Le supplément. Tout ce qui est en plus de la vie, « extraordinaire » (pour nous, du moins), c’est quoi au juste ? C’est, dans notre société logocentrée (et la scène théâtrale en fait partie au premier chef), tout ce qui ne peut pas être dit par le biais de notre principal outil de communication, c’est-à-dire la parole, le logos. C’est ce que Gisèle Vienne, dans sa nouvelle pièce, essaye, comme toujours, de mettre en scène : le Crime (gardons cette indétermination pour le moment). Et cela, non seulement elle le sait mais elle le dit, dès le petit livret distribué en
salle, avec un vocabulaire philosophique d’une remarquable précision : « On comprend bien qu’il ne s’agit pas seulement de révéler les crimes mais de les faire entendre dans un cadre perceptif qui est celui de notre société, qui s’évertue à les faire taire ». Ainsi ces crimes il faut les montrer, peut-être même les expier, sur scène mais à travers c e qu’on pourrait appeler une esthétique du
contournement. Cette esthétique implique, (ce qui n’est pas sans conséquences théoriques) que le spectateur accepte sa position de « jouisseur ». Vienne ne s’intéresse qu’à un seul des deux aspects de l’expression au sens où l’entendait Deleuze, non pas expliquer mais envelopper et « envelopper c’est impliquer ». Il s’agit donc d’envelopper et d’impliquer le spectateur, de le plonger dans une esthétique du non-verbal, d’abord dans un bain sonore et lumineux constant
mais surtout dans tout ce qui n’est pas encore prêt à sortir de la bouche comme langage articulé (soupirs, halètements, crachats, chewing-gums). La parole, souvent à peine audible, a surtout pour fonction de couper les moments de séduction ou d’extase qui sont aussi alternativement, et parfois simultanément moments de douleur extrême. Car c’est cela qui caractérise le théâtre de
Gisèle Vienne, une formidable plasticité des sentiments, une impossibilité de trancher : plaisantent-ils comme des adolescents un soir d’été ou souffrent-ils devant nous ? Cette indétermination se répercute, bien sûr, chez le spectateur souvent contraint, il faut le dire, à la l’admiration devant ces jeux de lumière et ces acteurs-marionnettes dirigés avec une précision exemplaire. Mais cette admiration serait bien peu de chose si elle n’était constamment sous- tendue par ce qui ne se dit pas, ce fameux crime qui s’avère être le viol, présent à la fois partout et nulle part et dont l’abstraction déborde bien vite le cadre d’une sortie entre frère et sœur. Les plaisanteries autour de la radio de la voiture-maison laissant place à une ouverture sur le dehors qui est aussi le moment de la danse, ultime manière de verbaliser autrement.

 Milo Lemagnen

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