House d'Amos Gitaï, théâtre de la Colline : critique de Milo Lemagnen T-6

Non réconciliés
par Milo Lemagnen

                                                « Mais il est une chose qui ne fait plus aucun doute pour
                                                   moi : le monde d’aujourd’hui ne peut être décrit aux
                                                   hommes d’aujourd’hui que s’il leur est présenté comme
                                                   transformable. »
                                                   Bertolt Brecht « Le monde d’aujourd’hui peut-il être rendu
                                                   par le théâtre ? » in Écrits sur le théâtre
 

                                                   « La communauté inavouable : est-ce que cela veut dire
                                                    qu’elle ne s’avoue pas ou bien qu’elle est telle qu’il n’est
                                                    pas d’aveux qui la révèlent, puisque, chaque fois qu’on a
                                                    parlé de sa manière d’être, on pressent qu’on a saisi d’elle
                                                    que ce qui la fait exister par défaut ? Alors, mieux aurait
                                                    valu se taire ? »
                                                    Maurice Blanchot in La Communauté inavouable
 

 

Amos Gitaï choisit d’adapter pour le Théâtre de La Colline sa trilogie documentaire, inaugurée avec House en 1980, et tournée sur plus de 25 ans. Il tentait d’y filmer les
différents propriétaires de cette maison de Jérusalem Ouest ainsi que leurs voisins ou les ouvriers
au travail.

Par quoi se traduit ce passage assez inédit de l’authenticité du documentaire à l’artificialité de la  scène ?

Gitaï entre dans une sorte de processus injustifié de dé-réalisation de la parole. Textuellement, la pièce House s’apparente à une juxtaposition de bribes sorties de leur contexte puisque la quasi-totalité de ces phrases sont extraites des documentaires. Un Gitaï en panne d’inspiration se contentait déjà de s’autociter dès le deuxième volume de sa trilogie, Une maison à Jérusalem. Mais c’est tout juste si House ne deviendrait pas une franchise ! Ici, ces paroles caricaturalement iconisées et coincées entre des échafaudages monumentaux peinent à résonner, récitées par des acteurs, elles nous arrivent avec une grande platitude, impersonnelles et sans devenir.

Si encore Gitaï affirmait la puissance de ces propos intimes glanés par sa caméra des années
plus tôt. Il fait pourtant tout le contraire, les images projetées, dont l’utilité reste douteuse, ainsi que la musique omniprésente ne servent ensemble qu’à désamorcer les propos originellement sincères. Il s’agit de rendre les anecdotes, qui sont pourtant la charpente de la pièce, attrayantes et inoffensives. Choisir de faire chanter une chorale au beau milieu de l’extériorisation d’une expérience personnelle ne peut être interprété que comme un symptôme de la posture de Gitaï qui consiste à fuir constamment la confrontation.

Pourtant, mis à part étoffer ce qui relève désormais de la franchise Gitaï, l’apport de l’adaptation scénique aurait pu être de montrer le commun sous sa forme la plus irréductible. Chaque « personnage » (qu’il est d’ailleurs désagréable de parler en ces termes fictionnels de ce qui n’était que réel à la racine !), ayant bien un vécu différent et insoluble, aurait pu précisément confronter son expérience à celle des autres. Comme souvent chez Gitaï, la théorie prime sur la pratique de la même manière que dans News from home/News from House il préférait monologuer sur le film à faire plutôt que de répartir un temps de parole égal entre les ouvriers et les différents propriétaires ou voisins de la Maison, située d’ailleurs, pas de chance, dans un quartier très riche de Jérusalem Ouest. Gitaï n’innove en rien, il ne fait que montrer ce qui fait exister la communauté par défaut. Les personnages restent chacun dans leur passé et dans leur langue, ils ne réussissent pas à communiquer entre eux. La tentative de réconciliation musicale (des acteurs qui tapent en rythme sur des échafaudages) apparaît comme une bien maigre proposition utopique.

En guise d’interlude, Gitaï choisit de projeter un poème de Brecht, « questions que se pose un ouvrier qui lit ». Citer Brecht dans ce cadre, c’est d’abord substituer des rapports entre deux
idéologies à des antagonismes de classe, tout mélanger, en somme. Mais pour une pièce qui s’attache à multiplier les points de vue sous prétexte de faire entendre les raisons de chacun, pour une pièce qui n’arrive à aboutir qu’à une relativité immuable, citer Brecht est un comble.

C’est l’hypocrisie de ce théâtre « cosmopolite » qui n’est capable de penser qu’en termes
métaphoriques. Mais à force de se focaliser sur un espace intime et de se prendre pour un
archéologue du réel, c’est du moins la formule que Gitaï ne cesse de répéter, on ne fait que
s’attacher aux traditions : la petite histoire intime et la famille de chacun, impossible, donc,
d’envisager une quelconque transformation du réel.

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