Entretien avec Raphaël Enthoven

Compte rendu de la rencontre de Raphaël Enthoven avec les élèves de 2°7 par Aurore Pageaud, élève  de cette classe.



Entretien avec Raphaël Enthoven

Vendredi 8 avril 2016, les secondes 7 ont eu la chance de recevoir un philosophe dans leur salle de classe ! C’est Raphaël Enthoven qui nous a fait l’honneur de venir nous parler d’un écrivain célèbre : Albert Camus. Madame Randon, notre professeure de français, nous avait fait travailler préalablement en petits groupes sur différents textes de l’écrivain. C’est alors un véritable salon de lecture que Raphaël Enthoven a pu trouver là. Des élèves ont lu les textes étudiés puis les ont commentés avant de laisser la parole au philosophe.
Nous avons débuté l’entretien par une lecture de l’incipit du Mythe de Sisyphe, puis par Réflexion sur la guillotine. Une lecture de deux textes du recueil « Noces » est ensuite venue : L’Eté à Alger et Le désert. Puis une élève a lu la demande en mariage de Marie à Meursault dans l’Etranger. Pour finir, un texte de « L’été » a été lu, l’incipit de La Mer au plus près et son excipit.
Cette dernière lecture a soulevé en nous une grande question : Camus cherche-t-il à dire que, quoiqu’il arrive, nous allons tous mourir, alors à quoi bon faut-il vivre ? Ou alors, veut-il nous amener à penser que ce danger permanent qu’est la mort, doit nous obliger à profiter de la vie ? La lecture de textes étant finie, Raphaël Enthoven a alors pris la parole et répondu à cette dernière question à la manière de Camus : « la vie n’a aucun sens mais tant mieux : on ne demande jamais à quelqu’un « quel est le sens de ta vie ? » ou si on le lui demande, c’est par un but, un rêve à atteindre qu’on va nous répondre. Un but qui s’envole dès qu’on l’atteint, que l’on s’en approche au profit d’un autre but. Un cycle perpétuel. Camus veut nous dire que l’ensemble de nos actions n’est qu’en fait un paravent face à la mort. Camus veut nous apprendre à aimer la vie. En cela, Camus est un philosophe désagréable et tragique : il écrit ce que nous savons déjà mais refoulons et ne voulons surtout pas lire. Qui avant sa mort peut-il d’ailleurs prétendre avoir trouvé le sens de sa vie ? Chacun répondra par les actions faites et les buts atteints, mais jamais par un sens. Un enfant vit lui-même avant de se demander quel est le sens de sa vie. »
Raphaël Enthoven nous dit aussi que « Camus est un disciple de Pascal, Pascal écrivait que l’on se divertit sans cesse pour éviter de penser à la mort. Pour Camus, on est hanté par ce à quoi on ne doit pas penser, on ne veut pas penser à la mort alors on est hanté par cette idée, il faut accepter l’idée de mourir et en faire une force, pour affronter la mort, nous devons aimer la vie. »
« Camus avait une formule célèbre : –lundi, maladie, mercredi- témoignant de l’amnésie quotidienne, il y a un paradoxe dans la vie de chacun : nous avons des choses importantes à accomplir durant notre semaine par exemple, nous ne devons pas les oublier, elles sont nos buts de la semaine. Cependant un évènement imprévu arrive –car un imprévu arrive toujours- plus tard, quand nous penserons à notre semaine, les choses que nous ne devions pas oublier nous échapperont et seul restera l’évènement imprévu qui nous aura marqué. »
Le philosophe a ensuite évoqué le style de l’écrivain : « Camus a un style intuitif, il pense par images et a le talent du romancier, c’est ainsi que L’Etranger peut être un roman ainsi qu’un livre philosophique. Concernant le Mythe de Sisyphe, Camus ne l’évoque qu’à la fin de son livre. Il a choisi ce personnage emblématique parce qu’il est le seul à avoir trompé la mort, Sisyphe avait en effet demandé à sa femme de ne pas lui remettre les ornements mortuaires dans le but de ne pas pouvoir accéder aux Enfers, d’être ainsi renvoyé dans le royaume des vivants. Sisyphe revit. Les Dieux, furieux, le condamnent à pousser un rocher éternellement sur une montagne. Sisyphe est éternellement mortel.
Camus pense que nos vies oscillent entre deux mythes, celui de Sisyphe, être éternellement mortel et celui de Tantale : condamner à ne jamais pouvoir combler sa faim ou sa soif. Nous ne pourrons jamais combler nos désirs, les satisfaire quelques temps mais jamais les combler entièrement. »
Ce qui permet à Raphaël Enthoven de nous parler du désir et de toute la partie Amour que l’on retrouve dans l’œuvre d’Albert Camus : «  désir provient du mot « dé-cidus » ainsi la nostalgie de l’étoile, l’étoile est la figure de ce qu’on ne peut pas toucher. Camus veut enseigner au lecteur qu’il doit avoir la capacité d’aimer « ce qu’il a sous la main », ainsi aimer le réel et non pas le cosmos. Camus écrit qu’aimer le réel est une capacité sur-humaine : se satisfaire de ce que l’on a. Le plus beau pour Camus, c’est d’aimer. Etre aimé, c’est bien, aimer c’est mieux. Une déclaration d’amour est un saut dans le vide, c’est ce qui nous rapproche le plus de l’amour de la vie. »
Nous avons ensuite parlé du cycle de l’absurde de Camus : « Dans L’Etranger, Meursault dit que le monde lui apparaît comme « inhumain et déprimant», le monde ne serait alors pas fait pour les Hommes ? Le monde n’est pas fait pour nous faire plaisir, le monde ne veut pas de nous. Meursault est un personnage qui ne ment jamais, en fait il ne connait que la vérité, Meursault n’est pas fait pour la société. Car la société elle-même établit une conjuration pour nous faire oublier la gravité de la situation. Cette absurdité de la vie est décrite dans La Peste : Camus écrit « qu’il n’existe aucune meilleure façon de vivre que de se battre. » en effet, dans ce roman, la prudence est un risque supérieur au courage, tout le monde met la main aux bubons et aide. La guerre contre la Peste est perdue, elle reviendra toujours, cependant nous pouvons encore gagner toutes les batailles. »
« L’absurde chez Camus, c’est l’absence de réponses, le monde est un abîme entre le désir, les questions et l’absence de réponse. La vie n’a aucun sens, il faut s’en rendre compte et être libre de lutter. L’homme révolté assume l’absurdité de sa vie dans ses conséquences les plus extrêmes, sa révolte sera beaucoup plus forte que celle qui provient d’un principe abstrait. C’est en cela que la révolte fait face à l’indignation : la révolte est ce qui nous tient éveillé toute la nuit, ce qui nous empêche de dormir tandis que l’indignation est là pour nous donner bonne conscience, elle ne témoigne en aucun cas de l’absurdité de la vie. La révolte n’est jamais finie d’ailleurs, c’est en cela encore qu’elle diverge de la Révolution : il y a une forme de conservatisme dans la révolution qui rétablit quoi qu’il en soit la même société chassée par les révolutionnaires. La révolution ne peut pas être terminée si elle émane d’hommes révoltés car ils ne cesseront jamais d’être révoltés. L’absurdité de la vie n’est jamais finie. Dans « Noces », Camus écrit « Au cœur de ma révolte, dormait un consentement. » consentir ce n’est pas se résigner, bien au contraire, consentir c’est aimer, qui consent à la vie, l’aime et accepte la mort. Il faut aimer le fait que la vie soit provisoire. »
« Le bonheur est toujours triste ; heureux, on se dit toujours qu’il faut en profiter au maximum avant que le bonheur ne parte, on imagine déjà que notre bonheur va partir. Cependant Camus réfléchit autrement, il ne veut pas nous dire d’aimer la vie comme si c’était le dernier jour mais justement, aimer la vie comme si c’était le premier instant : il faut aimer l’aurore plutôt que le crépuscule.
Pour les romantiques, le monde nous ressemble, il est à l’image des Hommes. Pour Camus, le monde ne peut pas nous ressembler puisqu’il est inhumain, il écrira pourtant, dans les dernières pages de « Noces » « le premier sourire du ciel », le sourire est un attribut humain, il faut y voir ici une interprétation plus profonde : le sourire est la lumière, celle qui donne envie et résout tout. »
Raphaël Enthoven a ensuite évoqué le sujet de la peine de mort : « Tarrou est un personnage qui résonne à travers les romans de Camus : on fait connaissance avec lui dans L’Etranger, fils du procureur qui condamne des enfants à la peine de mort, et on le retrouve dans La Peste, c’est le voyageur qui court partout en Europe pour prêcher l’abolition de la peine de mort, on comprend alors qui il est. Camus soutient l’abolition de la peine de mort car pour lui, la justice ne peut pas être une affaire de vengeance. Camus éprouve un dégoût de la peine de mort qui le rapproche de son père qu’il a peu connu. »
« Camus dira de la religion qu’elle est l’institution la plus éloignée de Dieu car elle veut nous faire croire que Dieu est une question de morts alors que c’est une affaire de vie : on ne canonise pas quelqu’un pour ses actions dans la mort mais bien pour ce qu’il a fait dans la vie. »
Nous avons terminé notre entretien par cette phrase : « La philosophie est l’amour de la sagesse, pour Camus elle est la sagesse d’aimer »
Aimer un monde qui nous a pris Albert Camus, le Premier Homme révolté qui avait la sagesse d’aimer.
C’était une heure absolument passionnante, merci à Raphaël Enthoven de nous l’avoir accordée, merci aux élèves d’avoir lu et témoigné de leurs réflexions et merci à Madame Randon d’avoir permis cette rencontre.

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